6 - J E U X P O U R  D E S  H A U T S  D E G R E S 

D E  P A T A P H Y S I Q U E

 

Celui qui observe le vent ne sèmera point,
et celui qui observe les nuages ne moissonnera point.
Ecclésiaste,
XI, 4

 

Celui qui a trouvé, adolescent, la voie qu’il a suivie toute sa vie mérite bien le nom de sage.  

La liberté consiste à faire ce que l’on veut quand on veut ce que l’on peut. Agir en plein accord avec soi-même et par plaisir.

De celui qui agit librement avec la ferme volonté de réussir, ne dit-on pas qu’il est déterminé ?

Rien de plus libre qu’une pierre qui tombe.

La nature a ses lois que la loi ne connaît pas.

On craint le déterminisme comme si en l’acceptant on allait s’interdire de choisir, de réfléchir, de penser. 

Le déterminisme et la liberté sont deux aspects d’une même réalité.

 

Le sacrifice le plus difficile, réservé aux dieux et aux saints, c’est celui du fils, sublimation ou symbole mythique de l’instinct sexuel . L’image de la Vierge écrasant la tête du serpent est destinée à faire comprendre aux Chrétiens qu’il n’y a pas de salut en dehors du sacrifice de l’instinct sexuel. C’est le sens du célibat des prêtres .Le bouddhisme est encore plus exigent : il faut atteindre au détachement de tout ce que l’homme peut désirer, au prix d’une ascèse que les héritiers de la culture hellénique comprennent difficilement, pour accéder à la perfection du non-être : le Nirvâna.

 

Dans le mythologie hellénique, le sacrifice d’Iphigénie représente également le sacrifice de l’instinct sexuel. Mais il est destiné à la réalisation narcissique du moi d’Agamemnon enflé par l’ambition. L’homme du peuple d'Argos aurait renoncé à la guerre de Troie. Mais le sang des Atrides coule dans les veines du roi (peut-être de tout roi). Et quelles fautes charrie-t-il, sinon la somme de tous les sacrifices qui ont porté l’orgueilleuse famille au pouvoir ? Voilà le fatum : l’orgueil, le sentiment d’une blessure profonde d’où le christianisme tirera le péché originel, somme  de toutes les fautes ancestrales.

 

Le rôle du théâtre est de vacciner l’esprit contre les erreurs de jugement. En participant au drame, le public partage les sentiments des personnages, mais à un moindre degré que dans les situations réelles qu’il aura peut-être à  vivre. 

 

La religion chrétienne ramasse et assume tout ce qu’il y a de persécuté dans la psyché collective : la Passion du Christ ne contredit pas l’histoire du peuple juif..

 

L’Eglise ne retient que ceux qui sont en contradiction avec elle.  L’orgueil est le péché suprême en même temps que la seule voie d’accès au christianisme. 

 

Pour éprouver d’infantiles remords à tuer, il faut y avoir pris plaisir. Les bouchers, les chasseurs et les pêcheurs de métier tuent sans pitié, sans remords, sans y penser.

 

Il répondait affirmativement, sans la moindre marque d’indignation, le gardien de zoo à qui on demandait si les fauves mangeaient quelquefois leurs petits.

 

Ce petit animal que mon chien m’a rapporté presque mort entre ses crocs ne tenait presque pas à la vie : il lui a suffi de quelques mouvements convulsifs pour s’en débarrasser.

                                                                       

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Quand mon chien attrape une taupe dans la campagne, c’est inconsciemment, sans le vouloir, qu’il la tue. Il est tout étonné de ne plus la voir bouger, de ne plus l’entendre crier (car une taupe crie à ce moment-là,  même si   c’est la seule fois de sa vie…) L’homme au contraire doit vouloir tuer, puis s’armer. Pour ce végétarien, ancien habitant des forêts, essentiellement arboricole, la chasse est une action contre nature, un  produit de culture. Voilà une idée qui plairait à J.J. Rousseau et qui justifie peut-être la répugnance de  beaucoup d’hommes pour la violence

 

Montaigne pensait que la philosophie devrait apprendre aux hommes à mourir. (Essais, Livre Premier,    chapitre XX, p.92 de l’édition des Classiques Garnier : " Qui apprendrait les hommes à mourir leur apprendrait à vivre "). Il serait tout aussi vrai de dire qu’elle devrait leur apprendre à dormir. Et l’on arriverait à  l’un et l’autre but par les mêmes moyens, tant il est vrai qu’une journée quelconque est à l’image de toute une vie.
                                                                                                                                                  

Comme  la mort paraît facile devant un mort ! 

 

Faiblesse de la foi chrétienne en regard de ma conviction d’athée.

                                                 

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La linguistique permet de gruger le sens des mots. " En méditant un mot, on est sûr de trouver un système philosophique " (Bachelard).

 

En wallon, d’bauché devait avoir le même sens que débauché en ancien français. Si à l’heure actuelle, le mot wallon signifie affligé, et le français dévergondé, c’est parce qu’ on a fini par ne plus voir de la même manière les conséquences du manque de travail dans des régions géographiquement si proches l’une de l’autre. 

La démarche lente du cavalier au manège fait comprendre pourquoi " tout bellement ", dans l’ancienne langue, signifiait " tout doucement ". 

Ceux qui me regardent se mettent dans ma dépendance.

Ce qui me regarde me concerne .

Le sens propre de l’expression " être le point de mire " n’invite pas à se mettre en vedette.  

Exemples de déplacements dans le langage courant : " Il ne voit pas plus loin que le bout de son nez " ; " Elle n’a pas froid aux yeux " ; " Ca lui en bouche un coin " ; " quand elle a une idée dans la tête, elle ne l’a pas dans le talon " ; " J’en ai plein le dos " ; " Un casse-pieds ". 

Moquer (mettre en boîte,posséder) trahit une intention profonde de tuer.

Les anciens disaient que l’amour de la famille renferme toutes les affections (Littré). C’est sûrement vrai, dans tous les sens du mot affection.

La Bruyère définit en deux mots l’introversion dans le portrait de Phédon : " Il est abstrait, rêveur ". Il faut entendre abstrait dans tous les sens : " séparé ; difficile à saisir, à pénétrer ; non engagé dans le réel ; n’ayant d’autre attention que pour l’objet intérieur qui le préoccupe" (Littré).

Les Belges utilisent des formules de politesse là où les Français établissent une véritable relation humaine, spontanée, originale, qui ne s’embarrasse pas des formes. Ce qui fait passer le Français pour irrespectueux en Belgique.

L’image mentale, le référé, n’est pas toujours liée à son support linguistique. Par. exemple, quand on a un mot sur le bout de la langue 

On ne peut demander beaucoup qu’à ceux qu’on aime. Et rien à ceux qui ne sont pas aimés.

 L’ironie est la défense des forts, la colère celle des faibles. On craint autant l’une que l’autre.

Quand un enfant se sent coupable, il fait l’innocent.. 

La vie comme le rêve est l’ombre portée de l’imagination..

Nos rêves nocturnes sont le produit d’une pensée rudimentaire, toute en symboles et en images. Ils représentent nos façons de voir, nos craintes, nos soucis de la veille, sans rien compenser ni défendre.

 

                                                    

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Crise ou prise de conscience permanente, la psychanalyse, comme toute ascèse, se réalise par le dépouillement.

Quand la clé d’un rêve ne convient pas, elle grince. 

La solitude donne à la pensée toutes les libertés que condamne la société. Le rêve est un ferment de révolte.

L'incompréhension dont souffrent les personnes et les animaux abandonnés, c'est la disparition du langage qui les reliait à leur environnement primitif et qui se manifestait de toutes les façons possibles : paroles, attitudes, coutumes familiales, habitudes vestimentaires ou culinaires revêtues d’une signification symbolique.

La solitude vous oblige à vivre dans le rêve autant que dans la réalité. D’où cette démarche mal assurée des solitaires réduits à passer continuellement et sans transition d’un monde à l’autre.

Lorsque la pensée n’est pas embrayée sur la réalité, elle tourne à vide et s’emballe .

N’es-tu jamais arrivé à dépouiller un mot de toute signification à force de le répéter ? Il n’en reste plus alors qu’une forme creuse, un coquillage.

Celui qui refuse de combattre ses rivaux, son agressivité se retournera contre lui-même : il tentera de se dépasser, de se transcender, dans un effort masochiste vers la perfection.

Quand on se met à chercher en soi, on y trouve toujours une folie. Cette recherche en est déjà le signe.

Presque toutes les vies sont ratées. L’aventure du spermatozoïde se reproduit à l’échelle humaine…  

Quand un introverti décide de sortir de sa coquille et d’agir, il éprouve d’abord un grand découragement et une grande fatigue parce qu’il s’imagine que la réalité va se modeler sur ses désirs aussi facilement que ses rêves. Le repos viendra à condition qu’il accepte de faire peu de choses, c’est-à-dire de choisir une voie et de la suivre jusqu’au bout.

Nous vivons dans le psychisme comme un poisson dans l’eau, de manière que notre entourage devine nos hésitations sans même les percevoir nettement, comme si elles étaient transmises par des ondes à travers l’élément psychique, celui-ci n’étant peut- être qu’une connaissance intuitive et inconsciente du style de vie de nos semblables que nous observons chaque jour sans le savoir.

On les trouve jolies ou laides parce qu’on les juge de loin. 

Dans Psychanalyse pour la personne, un essai paru au Seuil , Igor Caruso appelle " réification de la sexualité " le bonheur que la  libido nous conduit à rechercher dans les objets plutôt que dans les relations humaines. Il est vrai que la technologie moderne produit des engins plus séduisants que les héros anciens:  automobiles, avions, satellites, ordinateurs,… 

Toutefois, il n’existe de plaisirs que partagés.

L’amour n’est-il pas le principe de toute communication ? 

Le bouddhisme situe le Nirvâna, le non-être, l'absence de culpabilité, dans un au-delà d'où la vie est exclue. Freud explique l’apparition de la vie comme une tentative pour les molécules qui en avaient les potentialités de survivre à un cataclysme primordial... 

Inconsciente avant la chute de nos premiers parents, la sexualité, fruit défendu poussant sur l’arbre de la Connaissance, est devenue premier sujet de réflexion de l’homme sur lui-même, premier moteur de la pensée. 

Les premières sociétés qui aient engendré l’attitude introvertie ont dû la reconnaître tout de suite comme le danger, l’abîme, qu’il faut côtoyer sans y tomber.

C’est l’ambition de Dédale qui a provoqué la chute d’Icare, dont le surmoi enflé, à l’image d’un père si ambitieux, l’entraîne à se rapprocher du soleil – approche toujours dangereuse, même quand il s’agit du soleil de la connaissance. Dans la légende adamique , c’est un orgueil plus proche de la volonté de savoir que de la volonté de pouvoir, qui précipite la chute de nos Premiers Parents.

Semblable à Dieu grâce à la science qui l’a dégagé de la nature, l’homme crée l’univers au gré de son imagination. L'Arbre de Vie qui pousse fatalement vers le ciel lui enseigne que son destin est de ravir les plus hauts fruits de la connaissance, au prix de s’éloigner de plus en plus de l’animalité bienheureuse. 

De même que le jeune chien apprend à retrouver la trace du gibier en discernant d’abord la sienne parmi les odeurs inconnues de la forêt, le primitif se fait une conception anthropomorphique du monde parce qu’il cherche d’abord à s’y retrouver. La connaissance tient au narcissisme, à la réflexion de l’homme sur lui-même, à sa capacité de prendre du champ vis-à-vis de lui-même, à se regarder vivre comme dans un miroir.

Première forme d’introversion, le repli sur soi des premières cellules de l’embryon qui ont donné lieu à l’organe primordial , la gastrula .

Dans une ville, comme dans la jungle ou la forêt primitive, chaque rencontre déclenche inconsciemment l’une des deux conduites fondamentales : amour ou  agressivité. 

En regardant les passants que l’on croise avec trop d’insistance, on provoque leur agressivité (un sourire moqueur), alors qu’on réclamait leur amour ! 

Le tic est un moyen de défense contre une agression psychique réelle ou imaginaire : on apaise l’adversaire en  se  diminuant. Comparer à l’attitude soumise du chien qui réclame la fin du combat.

Le plaisir sexuel est une victoire totale de la vie, absence de l’idée de mort.

Depuis la classe de rhétorique, toutes les philosophies m’ont séduit. Autant dire qu’elles m’ont trompé.

Il ne faut pas attendre que l’univers nous livre son secret. L’humanité ignore ses origines, personne ne se souvient  de sa naissance.

Je m’intéresse à ce qui est plutôt qu’à ce qui devrait être, parce que ce qui devrait être fait partie de ce qui est. Vision bouddhique, immobiliste du monde. Il faut admettre que des choses nouvelles, n’ayant encore aucune existence, pourront apparaître .

Le cœur a ses raisons. Le cœur monte à la tête. Le cœur qu’il est passionnant de découvrir derrière les théories les plus subtiles des hommes les plus sérieux.

La poésie, la musique ou la chimie sont des mystiques quand on y cherche une exaltation de l’esprit dans une vision unitaire du monde, conception la plus exaltante qui soit parce que celui qui perçoit l’union des contraires peut se considérer comme une contingence, une modalité de l’être éternel. D’où ce sentiment de parenté avec les choses, ou panthéisme, qu’éprouvent les mystiques.

L’histoire, telle que nous la concevons, c’est notre mythologie parce que, pour lui donner un sens, nous accordons une valeur exemplative aux héros anciens, aux événements du passé. L’histoire vraie est peut-être sans cesse renouvelée et peut-être n’y a-t-il jamais que du nouveau sous le soleil.

L’histoire de l’humanité n’est-elle pas avant tout celle de la liberté ?

C'est l'homme qui a inventé la justice, la plus tortueuse démarche de l’esprit vers la liberté.

Ce qui caractérise le développement de la vie, de l’humanité, de l’histoire, c’est une rapidité et une complexité de plus en plus grande des phénomènes. Comme il a fallu des centaines de milliers de millénaires pour produire la première molécule vivante et seulement quelques millions d’années à partir de ce moment là pour que l’homme apparaisse, il est à supposer que l’histoire de l’humanité touche à son terme et que la surhumanité, si elle apparaît jamais, n’aura qu’un instant d’existence ou une éternité. 

 

   

Abandonner l’étude,
c’est se délivrer des soucis.
Car en quoi diffèrent oui et non ? 
En quoi diffèrent bien et mal?
On doit redouter cette étude que les hommes redoutent, 
car toute étude est interminable.

TAO TE KING, N.R.F. IDEES p. 84

 

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