JEUNESSE  DE  MON  PERE

 


L'ECOLE DU CENTRE

1e classe 1914. C'est écrit sur l'ardoise. Année terminale de l'école primaire ? Mon père, le dernier à droite de la dernière rangée,  ne me paraît pas plus âgé que les autres. Il a quatorze ans. Il est malingre. Une maladie des os lui a fait perdre deux années. L'instituteur semble ignorer superbement ce qu'il a souffert.

Les costumes, les noeuds papillons, les cols permettent de distinguer les petits bourgeois des fils d'ouvriers. Mon père est le plus pitoyable de tous. Etait-il aussi bon élève qu'il me le laissait croire quand j'étais sur les bancs de l'école du Centre, à Wasmes, celle-là même qu'il avait  fréquentée ?    

                            

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Pentecôte ? Mariage ?

Personne ne sourit! Mon père montre un visage mécontent, aigri. Envie-t-il les hommes beaux et forts qui l'entourent?

 

 

Secrétaire d'état civil

Il a été nommé "secrétaire d'état civil" à la maison communale. Comme il ne pouvait accomplir aucune tâche manuelle, il s'était préparé à devenir employé. Il avait suivi des cours du soir pour trouver un emploi qui n'exigeait pas d'efforts physiques. Dans notre commune socialiste, l'administration lui avait ouvert ses portes.

Le cliché est sans doute l'oeuvre d'un jeune photographe qui souhaitait faire sa publicité. J'en ai retrouvé toute une série.

Pas de projecteurs. Profil peu flatteur, mais révélateur. Le visage allongé, l'expression sérieuse du petit employé dénotent l'importance qu'il accordait à sa fonction.

Le point de vue, la pose, le décor composent l'univers du bureaucrate. Registres, classeurs, codes définissent le rôle qu'il jouait dans l'administration communale. Courteline en aurait fait un héros comique imbu de son importance. C'était en réalité un personnage de Zola.

Triste figure d'un estropié dont l'implantation des cheveux dégage un front haut, plus ambitieux qu'intelligent.

Fils de mineur, n'ayant qu'une instruction élémentaire, son handicap physique l'avait mis bien au-dessus de la condition de ses parents.

Il ignorait le prix qu'Icare avait payé pour avoir voulu s'élever plus haut que son père. Aussi en faisait-il plus qu'on ne lui demandait. Il avait même étudié le droit civil pour aider ses concitoyens.

Handicapé physiquement, il n'avait pas su plaire à Louise, la séduisante secrétaire du bourgmestre. Mais il était devenu un militant socialiste convaincu, premier délégué syndical du personnel de l'administration communale. C'est ce qui allait le précipiter dans la résistance et les camps de concentration.

 

 

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